Academia.eduAcademia.edu
VERRE D’EGYPTE ET TECHNIQUES DE FABRICATION NEPALAISE : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. Joëlle ROLLAND, Yves LE BECHENNEC, Joël CLESSE, Stéphane RIVOAL. Depuis 1995, une succession d’opérations d’archéologie préventive menée sur le village d’artisans gaulois de Bobigny, Seine Saint-Denis (93), a mis au jour 51 bracelets en verre majoritairement fragmentaires. Mieux comprendre leur diversité typologique, leur donner tous leurs sens hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 sociaux, exigent d’aller aujourd’hui au delà de la « simple » typologie pour accéder à une véritable techno-typologie justifiée par des hypothèses crédibles sur les chaînes opératoires successives. Cela implique de passer d’une logique de dessins et de photos de ces objets à une logique de re-fabrications documentées par des séquences filmées autorisant la critique de chaque point des protocoles. Cela ne peut se faire qu’avec une équipe où, aux côtés des archéologues, s’associent verriers expérimentateurs et vidéastes, mais aussi, on le verra rapidement, à terme des anthropologues. Loin d’être une présentation de résultats définitifs, cet article est un premier point d’étape de la démarche en septembre 2010. Depuis cette démarche s’est poursuivie et fera l’objet d’une présentation lors des journées de l’Association Française pour l’Archéologie du Verre, à l’automne à Metz. Le site de la bourgade artisanale de Bobigny se compose de six chantiers d’archéologie préventive, les opérations ont été menées par les équipes du Conseil Général de La Seine Saint- Denis et de l’INRAP. Tous les sites livrent des traces d’habitat de la Tène C et D. Tous les sites livrent, à des degrés divers, des indices liés au traitement des défunts. Deux sont des nécropoles réoccupées ensuite par de l’habitat. La nécropole de l’hôpital Avicenne avec plus de 500 tombes à inhumation constitue un des éléments majeurs pour apprécier le rang hiérarchique du site. Les fragments de bracelets découverts seuls, ou groupés, proviennent de structures d’habitats (fosses, caves abandonnées et surtout fossés). Seuls 3 fragments proviennent de sols d’occupation Cette collection de parures en verre est sans comparaison régionale. En revanche, elle est comparable par son ampleur, et peut-être par le type de site la produisant, à la riche collection issue des opérations de fouille sur le site de Lacoste en Gironde étudiée sous la direction de Christophe Sirex. Ces ensembles restent très inférieurs en nombre au site de référence pour la Gaule qui est le dépôt du sanctuaire de Mandeure. 1 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. Une rapide observation des bracelets en verre mis au jour à Bobigny amène quelques remarques. Si l’on admet que les contextes dépositionels (100 % de remblais) ne présentent pas trop de difficultés chronologiques (MARION, METROT, LE BECHENNEC 2005), ce que semble confirmer les très nombreux tessons céramiques associés, où on note une assez faible part de tessons résiduels, on peut considérer que la majorité des individus appartiennent au IIe siècle avant notre ère. En cela, ils s’intègrent bien aux grands cadres chronologiques proposés tant par l’équipe du site de Manching (Bavière) que par les équipes Tchèques (N. Vençlova). Le site de Bobigny, dans l’état actuel de l’étude ne livre aucune attestation d’atelier de verrier. En hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 cela, il ne se distingue pas des autres sites de découverte de bracelets sur le territoire hexagonal. Toutefois, aller plus loin dans notre analyse exige de renforcer notre raisonnement par deux voies d’approches. L’une est la reprise un à un des arguments de datation des contextes. Cette voie est dans l’attente de l’étude des fibules en fer des tombes récentes de la nécropole, et de la restauration des fragments de 15 fibules en fer associés directement aux remblais dont sont issus les fragments de bracelets, l’autre est la construction d’une techno-typologie plus explicite que « bracelet bleu de forme large », « bracelet translucide de forme étroite ». Une classification simple qui reste pour l’instant un des arguments les plus souvent utilisés (et qui ne manque d’ailleurs pas de pertinence pour distinguer les bracelets du début du IIe siècle et ceux de la fin de ce siècle). Remarquées depuis les travaux de Joseph Déchelette et plus récemment d’Elisabeth Théa Haevernick, il existe dans le corpus des bracelets en verre protohistoriques, un certain nombre de grandes césures typologiques très marquées. Il est à signaler qu’elles sont même extrêmement marquées et interviennent dans un temps court qui excède de peu, par ses deux extrémités, le second siècle. Si on compare cette évolution à celle des fibules en fer sur le même laps de temps, force et de constater que les mutations des bracelets en verre sont graphiquement plus visibles. 2 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. Brève caricature des évolutions typologiques visibles à l’œil. Les IVe et IIIe siècles av.n-è. voient l’apparition de bracelets constitués d’un anneau de verre transparent puis vert. Ces anneaux sont des joncs simples à profil en D. Pour la fin du IIIe siècle, ils sont décorés sur l’extérieur d’un fil de verre bleu pâle posé à chaud et formant des huit isolés ou des losanges continus. La fouille de Bobigny livre un exemplaire intact d’un bracelet de ce type. Il est issu d’un contexte problématique : le remplissage d’abandon d’une cave du IIe siècle. Ce remblai, déposé entre les années 170 et 150 av.n-è., compte de nombreux ossements humains et des débris de fibules en fer. Ces indices sont liés à la perturbation d’une dizaine de tombes de la nécropole de l’hôpital Avicenne par la hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 mise en place du creusement de cette cave probablement après 170, puis par la destruction du bâtiment et le comblement de la fosse par raclage des abords avant les années 140 av.n.è. Ceci illustre bien la délicatesse des questions de datation d’objets erratiques et à plus forte raison de fragments de ces objets dans un site à stratigraphies complexes. Hors, pour la Gaule, la majorité des bracelets, à l’exception du site de Mandeure, sont issus de remblais provenant de sites à stratigraphie complexes. Le second temps de l’évolution typologique est également celui des bracelets les plus spectaculaires : les bracelets en verre bleu outremer à forme large et à la surface externe profondément marquée. Ces marques dessinent des côtes successives. Parfois, la côte centrale est également marquée de stries qui forment un décor de cordon. De plus la technique décorative testée à la période antérieure est Fig. 1 Fragments de bracelet en verre groupe Hae 4 forme 9 séries geb 40 retrouvés sur le site archéologique de la Vache à l’aise, Bobigny (93). VAC186/3. Photo © Emmanuelle Jacquot. 3 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. aussi mise en œuvre sous la forme cette fois de filets jaunes ou blancs. Cependant, ceux-ci sont nettement plus fins et posée en zigzag et non plus en 8. Le site livre plusieurs fragments de ces bracelets l’un des plus beaux exemplaires est VAC 609/1. Toutefois, peu d’exemplaires complets dans leurs coupes sont disponibles. Rapidement, des bracelets plus réduits en largeur avec des marques moins profondes se développent. Ces bracelets abondent dans la phase la plus représentée sur le site de Bobigny. Il serait tentant de les dater, aux vues de la chronologie générale du site, entre 200 et 150 av.n-è. Ces bracelets ont systématiquement pour matière principale du verre bleu outremer (cobalt). On ne peut que remarquer hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 cette totale domination du verre bleu. Les verres jaunes ou blancs, dont tous les auteurs signalent le caractère « bulleux », ne sont utilisés qu’en décoration. Les joncs des bracelets sont décorés de motifs d’impression dont la diversité augmente. Dans le même sens que cette diversification des décors d’impression, avec quelques décors plastiques ou « bourgeonnants », on assiste à l’apparition de quelques bracelets, où les filets jaunes particulièrement épais sont profondément enfoncés dans la surface du verre bleu. Le tournant suivant pose problème. D’une manière particulièrement brutale, on assiste, passés les années 150 av.n.è. à la quasi disparition du verre bleu. Il est remplacé par des verres décolorés, miels ou pourpre. À Bobigny, pour cette phase, on assiste aussi à une très nette diminution du nombre d’individus découverts. La typologie parait également se simplifier. Peu de types et des types où dominent des formes étroites, des joncs simples, le système décoratif se limite à une couche de verre jaune déposée à l’intérieur du bracelet, ou de la perle. Des bracelets à joncs simples de couleur miel et pourpres puis noirs continueront à être fabriqués pendant l’époque romaine, certains continueront à présenter des décors à côtes. 4 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. Le pourquoi d’un programme de recherches pluridisciplinaires en archéologie démonstrative Retravailler en 2009 la question de la typologie des bracelets en verre protohistoriques, a, il nous semble, trois enjeux scientifiques et deux enjeux sociaux. Le premier des enjeux scientifiques est de construire des groupes technologiques sur des bases qui croisent regard des archéologues et expérience des verriers. Il s’agit là de repérer de réelles césures technologiques dans une évolution très rapide des types et des manières de faire. Le deuxième est, toujours sous ce regard croisé, de tenter d’esquisser des filiations entre ces hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 groupes. Il s’agit donc de deviner des chaînes opératoires éprouvées par des expériences critiquables, car documentées. Le dernier objectif scientifique est de proposer, à terme, les bases pour un croisement possible entre ces groupes technologiques et le programme d’analyse physico-chimique en cours de réalisation par le laboratoire d’Orléans sous la direction de Bernard Gratuze. L’objectif étant de voir si les variations dans la composition chimique des verres se croisent, ou non, avec des changements majeurs dans les chaînes opératoires. Deux enjeux sociétaux ensuite. Les brassards en verre protohistoriques, ont souvent été nommés bracelets celtiques. La science, ces dernières décennies, a démontré leur fabrication à partir de verre conçu en Égypte ptolémaïque. Ces objets sont donc, soit par leur matière, soit en eux-mêmes, les marqueurs précoces d’un monde antique ouverts aux échanges. En cela, ils ont un double rôle, dans les sites d’échange comme Bobigny ou Lacoste : ils rappellent la nécessité d’avoir à côté de ce qui doit être la base économique réelle des échanges dans des sortes de comices agricoles, les produits du terroir, des objets d’importations lointaines et aptes à faire rêver. Ils disent donc, pour toutes les périodes anciennes l’attrait de l’ailleurs. Rappeler sans cesse cela dans une Seine Saint-Denis qui vit au quotidien la question des racines et du rapport à l’immigré est donc fondamental. Second enjeu sociétal, redire l’importance de l’apport de ces territoires de la périphérie parisienne, au développement de débats sur les origines de Paris. Cela non seulement par des découvertes archéologiques et leur publication, mais également en montrant que la recherche sous toutes ses formes, et en particulier sous les formes les plus collaboratives, peut y trouver sa place. Pour cela la présente 5 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. recherche s’inscrit dans un effort maintenu depuis 1992, celui de la création et du développement de l’Archéologie sous toutes ses formes au sein du Conseil général de La Seine Saint-Denis. Les premiers acquis du programme d’étude Au printemps 2010, grâce à un partenariat avec la direction des archives de Pantin, un premier temps de l’expérimentation a été initié. Des bracelets ont effectivement été fabriqués en marge de l’exposition « Fer des gaulois en Seine Saint Denis » au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis. La mise à disposition de son atelier par le verrier d’art Stéphane Rivoal, a été la base pratique de ce premier hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 travail. Cette première étape dans l’expérimentation a permis une découverte croisée, celle du comportement à chaud du verre, pour les archéologues et celle des bracelets protohistoriques pour les verriers. La compétence en termes d’expérimentation du verrier Joël Clesse a été précieuse et a permis au projet un démarrage rapide. Il a aussi été l’occasion d’associer Annie Mercier ethnologue et vidéaste au projet. Ce temps de débroussaillage a permis des avancées, une prise de conscience, et il a abouti à une accélération du programme qui n’est pas sans causer quelques soucis. S’il est admis que ces bracelets sont fabriqués dans un environnement technologique antérieur à l’invention de la canne et du soufflage du verre, il existe cependant depuis les années 1950 et probablement avant, plusieurs hypothèses concurrentes sur la manière de fabriquer un bracelet. Les hypothèses voient, soit une perle initiale être élargie, soit l’enroulement d’un cordon de verre chaud sur un mandrin cylindrique. Aucune de ces hypothèses ne documente la question de l’impression de décor sur l’extérieur du bracelet ou encore de la dépose des filets décoratifs. D’autre part, les hypothèses sont présentées le plus souvent sous une forme graphique schématique, sans cliché photographique des diverses étapes ou de leurs résultats que ce soit en matière de produits finis, de ratés de fabrication ou de déchets de production. Trois éléments différents qui pourtant devraient pouvoir être produits si l’on veut espérer parler un jour des indices aptes à localiser un atelier de verrier. Enfin, notons que la question de la structure de production, le four, n’est à notre connaissance que peu souvent abordée, faute de découvertes. A côté des fragiles hypothèses des archéologues, il existe un riche fond issu de l’ethnographie et surtout de la capture filmique de séances de fabrication de bracelets, soit en Afrique soit en Asie. Enfin il subsiste encore dans un certain nombre de pays, Israël, Inde, Népal, Nigeria, des traditions bien vivantes et surtout des verriers qui pourraient éventuellement dans un second temps être mobilisés. 6 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. L’article réalisé par Marc Gaboriau au Népal (GABORIAU 1977), complété par un film réalisé en 2002 par Marie Lecompte-Tilouine, permet de documenter le travail des népalis. Les verriers népalais créent des bracelets en verre en élargissant une perle à l’aide de deux ferrets. Cette méthode est assez proche de celle qu’utilisent les verriers de Bida au Nigeria et dont l’analogie avec les techniques de fabrications celtiques avait déjà été faite par Elisabeth Théa Haevernick (HAEVERNICK 1960) et documenté par René Gardi (GARDI 1970). En Inde, les méthodes de réalisation des bracelets en verre ont été documentées par le travail de M.-D. Nenna, (FOY 2003), documentation qui a pu être complétée elle aussi par un film (Wildfilindia.com). hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 Les articles nous ont permis de mieux comprendre la place sociale de ces parures notamment en Inde et au Népal. Marc Gaboriau décrit les bracelets népalais comme des objets de parures féminines, réservés principalement aux femmes auspicieuses, jeunes filles et femmes mariées, qui les brisent en cas de veuvage, lorsque leur statut change en celui de femmes inauspicieuses. Les marchands sont aussi spécialisés dans l’enfilage des bracelets, le diamètre doit être le plus petit possible pour la main de la femme, pour ne plus pouvoir être retiré. Ce sont donc des objets destinés à être portés longtemps, et brisés volontairement. En Inde, le port de bracelet en verre a été peu à peu remplacé par le port de bracelets en plastique, mais la production continue car ils sont utilisés lors d’une fête liée à l’accouchement, Valaikappu, et que le bris de ces bracelets a gardé une symbolique forte. Les artisans verriers népalais indiens et nigérians, possèdent des savoirs faire particuliers, ils sont tous spécialisés dans la fabrication de ces parures, une spécialisation dont ils ont hérité. Au Népal et en Inde, les artisans fabricants de bracelets sont connus sous le nom des Manihar, ou Churihar, ils forment une communauté musulmane spécialisée dans la production et la vente de bracelets. Au Nigeria, les verriers de Bida font partie des Nupe, ils ont le titre de Massaga, ils sont musulmans eux aussi, et forment un groupe d’artisans fermé et familial. Au Nigeria et au Népal, la technique de fabrication d’un bracelet en verre consiste à élargir une perle autour d’un ferret. Pour cela, l’artisan enroule autour du ferret un cordon de verre, qui forme alors une perle, ou cueille une quantité de verre qu'il va mettre en forme de disque et percer pour créer une perle. Il va ensuite décoller cette perle du ferret et introduire dans son ouverture centrale un autre ferret ou outil (grandes pinces au Nigeria) et élargir peu à peu l’anneau en exerçant sur lui des pressions successives, des étirements de l’anneau, tout en le maintenant en rotation constante autour du premier 7 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. ferret. À la différence des Népalais et des Nigérians, les indiens élargissent la perle grâce à un mandrin conique. La perle placée à la pointe du cône est remontée vers sa base jusqu’au diamètre voulu. Les films nous ont permis de nous documenter abondamment sur les techniques de fabrication. Sans cette documentation filmée, il nous aurait été très difficile d’appréhender le travail de réalisation d’un bracelet en verre. Le processus népalais utilisé pour décoller la perle du ferret ainsi que l’agrandissement d’une perle autour d’un ferret qui permet de faire disparaître toute trace d’enroulement, n’auraient pas pu être reproduit comme ils l’ont été. Par ce riche fond ethnographique, ce sont aussi les structures de production de ces bracelets qui ont hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 pu être documentées. Les nigérians et les népalais travaillent encore sur des fours à bois. Pour le Nigeria, un système de soufflerie est utilisé, mais la structure du four n’a été que pauvrement décrite. Au contraire, pour les fours népalais nous avons à notre disposition des plans dessinés par Marc Gaboriau, mais aussi la fabrication de bracelets filmée par Marie Lecompte-Tillouine. Fig. 2 Bracelet à décor de fils ajoutés et bracelet bicolore produits lors de l’expérimentation. Photo © Stéphane Rivoal. 8 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. Les avancées Une des questions lancinante dans la littérature est l’absence de soudures visibles sur les joncs des bracelets. Cette absence de soudure a intriguée les archéologues et aboutit à bien des questionnements. Il était donc nécessaire dans un premier temps de supprimer cette soudure lors de la réalisation d’un anneau de verre. Il est possible de former un bracelet sans soudure à partir d’une perle élargie grâce à un second ferret, l’enroulement de la perle devient invisible à l’oeil avec l’élargissement de la perle. De la même façon, il est possible d’élargir une perle sur un mandrin conique, ou cylindro-conique, et toute trace de hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 soudure disparaît. L’enroulement d’un cordon de verre chaud autour d’un cylindre, hypothèse couramment utilisée pour décrire la fabrication des bracelets en verre dans l’historiographie archéologique, pose encore quelques questions. Pour le moment, tous les bracelets produits de cette manière présentent une soudure visible. La réalisation de décors sur ces anneaux de verre fut le deuxième enjeu technologique de cette expérimentation, et nous devons bien dire que nous sommes loin d’avoir acquis les techniques nécessaires à la réalisation de tous les décors celtiques. Pour appliquer un décor à fil, l'extrémité d'un fil de verre froid sera réchauffée à l’ouvreau et posé sur le verre chaud du bracelet à son diamètre final, afin d’obtenir un fil de verre coloré en relief. La précision des zigzags décoratifs des bracelets du IIe siècle av.n.è. n’a pas pu être atteinte pour le moment, elle semble être le résultat d’une main d’artisan particulièrement experte et sans doute aussi d'une chauffe très localisée. Pour l’impression des côtes, il est nécessaire que le bracelet repose entièrement sur un support, comme un mandrin conique ou cylindrique, afin d’être imprimé. Un outil à trois lames parallèles a été testé afin d’imprimer des sillons, créant des côtes. Un outil à trois lames peut créer un bracelet à deux côtes larges, ou un bracelet à deux côtes larges centrales entourées de deux plus petites issues du débordement du verre hors des lames de l’outil. L’impression doit être réalisée lorsque le verre est encore particulièrement chaud afin que les côtes soient bien imprimées. Les profils de ces bracelets sont très proches des profils des bracelets en verre celtiques présentant des décors à côtes. D’autres outils seront testés pour l’impression de ces sillons. 9 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. Après cette première séquence d'expérimentation réalisée dans un atelier de verrier contemporain, il nous est apparu que la structure des fours actuels, leur volume, l'organisation de l'atelier et l'ergonomie qu'elle impose, n'étaient pas appropriés pour poursuivre efficacement l'expérimentation. D'une part la température dans le four (1130°C) inutilement élevée pour ce type de production et d'autre part le rayonnement important de la masse de verre fusionnée (80 kg), obligent à travailler loin de l'ouvreau et de la matière travaillée, avec des outils longs moins propices à une bonne maîtrise gestuelle. Ces éléments concourraient ainsi à nous éloigner du four et de la matière alors qu'il convenait de s'en rapprocher. hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 Pour dépasser ces difficultés, une voie s'imposait à nous : construire un four plus petit, permettant de chauffer de petites masses de verre et de travailler assis ou accroupis devant l'ouvreau, avec des outils beaucoup plus courts. Une alternative se présente alors : travailler soit sur un four à gaz avec des pots et les bénéfices de la technique moderne (température contrôlée et modulable, chauffe homogène dans l'ensemble du laboratoire, verre propre non sali par des cendres ou du charbon), soit construire un four en terre destiné à être chauffé avec du bois. Nous avons finalement choisi d'explorer les deux possibilités : la première parce qu'elle permet de travailler dans la durée et donc aux verriers de multiplier les essais, d'affiner leur gestuelle, et de reproduire les mêmes opérations à différents paliers de températures pour observer pour chacun d'eux les réactions de la matière. La seconde, parce qu'elle permet de se rapprocher des conditions de production supposées de l'époque, d'expérimenter la chauffe d'un four au bois, de reproduire les hypothèses techniques éprouvées sur le four à gaz. Nous avons tenté l’expérience en mai 2010, dans une cour du Musée d’Art et d’Histoire de la ville de Saint-Denis. Nous avons construit la copie approximative d’un four de verriers népalais. Ce four à quatre ouvreaux, réalisé en terre, sans alandier et avec une ouverture en façade pour l’enfournement, a fonctionné lors de trois séances et a été chauffé à chaque fois avant. Il s’est révélé très sensible au vent et à son absence, il s’est aussi révélé très délicat à stabiliser en chaleur, enfin il a eu du mal à monter en température. Le verre déposé dans des creusets a fondu de manière incomplète. La structure des bracelets obtenus se révèle parfois très bulleuse. Celle-ci contient aussi de nombreuses cendres, morceaux de charbons ou de terre. Nous avons utilisé uniquement la technique d’élargissement d’une perle avec deux ferrets, celle des verriers népalais, pour travailler sur le four. L’utilisation de cette technique d’élargissement, la température ne dépassant pas 1000°C, combinées avec la matière hétérogène, 10 Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise : Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques. transforment la matière et laisse sur l’intérieur des bracelets, des traces longilignes semblables à celles que nous pouvons observer sur les bracelets protohistoriques. A l'été 2010, un petit four à gaz a été construit, permettant de travailler dans la durée et de contourner, le temps de les régler, les problèmes de montée et de maintient des températures du four à bois. Les allers-retours réalisés d'un modèle de four à l'autre, ont créé une dynamique expérimentale très riche. En travaillant sur les structures de production, en s’approchant le plus possibles des conditions de hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 fabrications des bracelets en verre d’Europe celtique, l’objectif est double. Il s’agit à la fois de pouvoir comparer au mieux les pièces produites en expérimentation avec les pièces archéologiques, mais aussi de travailler sur d’autres produits : les déchets et rebuts de fabrications. Observer ces rebuts permettra de les comparer avec des pièces de verre d’Europe, plus particulièrement avec les pièces des sites d’Europe centrale comme Nemcice nad Hanou (VENCLOVA 2006), afin de se doter d’indices supplémentaires sur la fabrication et les lieux de fabrications des bracelets en verre celtique. En mettant à profit l’expérience d’artisans verriers de Seine-Saint-Denis et en la combinant avec les techniques observées chez les artisans d’Inde, du Népal et du Nigeria, nous avons réussi à fabriquer des bracelets en verre sans soudure. De cette réalisation de l’anneau, dépend l’application de décors. À partir des césures typologiques apparaissent peu à peu des groupes technologiques, mais les raisons profondes de ces groupes n’apparaîtront qu’avec la poursuite de l’expérimentation sur l’application des décors. L’observation et la tenue de prise de notes régulières écrites et filmées, par l’ensemble de l’équipe, archéologues, verriers, vidéaste anthropologues et nous l’espérons bientôt verriers népalais est la base de cette démarche. La construction d’un regard commun sur des bracelets en verre protohistoriques fragmentaires ou complets, de leurs décors et de leurs défauts, permettra d’avancer sur ces questions techno-typologiques. L’objectif, à terme, et il est ambitieux : présenter ces objets dans leurs écologie, à l’exemple du travail mené il y a quelques années par Pierre Pétrequin et son équipe sur les haches polies. Avril 2011, Joëlle ROLLAND, Yves LE BECHENNEC, Joël CLESSE, Stéphane RIVOAL. 11 Remerciements : Nous souhaitons remercier le Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis pour son accueil à l’occasion des nuits des Musées 2010. Merci aussi à la municipalité de Pantin, et particulièrement à Geneviève Michel, conservateur du patrimoine, directrice des archives, de la documentation et du patrimoine, pour son accueil et sa participation au projet. Merci à toute l’équipe du CERFAV, centre européen de recherches et formation aux arts verriers, pour leur accueil lors des Journées européenne du Patrimoine 2010 et leur implication dans le projet. Merci à toute l’équipe de l’association Franciade, pour leur enthousiasme et leur implication dans le projet, et particulièrement à Liney Serrano pour la réalisation des creusets. Nous tenons à remercier chaleureusement Marie Lecompte-Tilouine, anthropologue CNRS, de nous hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 avoir permis l’accès à son film documentant le travail des verriers népalais, sans lequel ce projet aurait été bien différent. Merci à Daria Cevoli, chargée de collections Asie au musée du quai Branly, de nous avoir permis d’accéder aux objets ramenés du Népal par Marc Gaboriau. Nous remercions également l’équipe photos du bureau de l’Archéologie du service patrimoine du conseil Général de Seine Saint-Denis, Emmanuelle Jacquot et Isabelle Gaulon pour leurs photos des bracelets en verre celtiques. Bibliographie : FOY 2003 FOY D. (dir.) (2003) - Cœur de verre, Production et diffusion du verre antique, catalogue d’exposition, pôle archéologique du Rhône, Infolio éditions. Gollion. GABORIAU 1977. GABORIAU M. (1977) - Bracelets et grosses perles de verre, fabrication et vente en Inde et au Népal, in Objets et mondes, tome 17, fasc.1. GARDI 1970. GARDI R., (1970) - Les verriers de Bida, in Artisans africains, Wabern, Büchler et Cie. HAEVERNICK 1960 HAEVERNICK T. E. 1960 - Die Glasarmringe und Ringperlen der Mittel- und Spätlatènezeit auf dem Europäischen Festland, Rudolf Habelt Verlag, Bonn. MARION S., METROT P. et LE BECHENNEC Y. (2005) - L’occupation protohistorique de Bobigny (SeineSaint-Denis). In : BUCHSENSCHUTZ O. (dir.), BULARD A. (dir.), LEJARS T. (dir.). — L’Äge du Fer en Île-de-France : XXVIe colloque de l'Association française pour l'étude de l'Âge du Fer, Paris et Saint- 12 Denis, 2002. Thème régional. Tours : FERACF, 2005, p. 97-126, 31 fig., bibliogr. p. 124-126. (Supplément à la Revue archéologique du centre de la France ; 26). hal-00588337, version 1 - 22 Apr 2011 VENCLOVA, 2006. VENCLOVA N., (2006) – Le verre celtique de Nemvice Nad Hanou, Dossiers d’archéologie, 313, p.50-55. 13